Zagreb, Mondial 2009. Les Experts déroulent leur partition, invaincus et déjà irrésistibles. Mais dans un coin du vestiaire, Claude Onesta met sur pause. Il ne s’adresse ni à Karabatic, ni à Omeyer — il parle à ceux qu’on n’entend jamais : les remplaçants. Un moment rare de management brut, précis et profondément humain.
Zagreb, l’année du contrôle total
Six mois après l’or olympique de Pékin, les Bleus abordent le Mondial en Croatie avec la pancarte de favoris collée dans le dos.
Tout semble rouler : quatre matchs, quatre victoires. Mais derrière la façade, Onesta voit ce que les autres ne regardent pas : un banc qui se crispe, des remplaçants qui s’impatientent.
Alors, au lieu de flatter la réussite, il choisit de gratter un peu le vernis.
Dans ce vestiaire où tout le monde transpire le handball, Onesta enfile son costume préféré : celui du professeur de psychologie appliquée.
Pas de grand discours, pas de hurlement. Il entre, observe, puis lâche la première pique :« Je commence à penser que c’est pas un problème de handball… c’est un problème de cerveau. »
Le ton est donné. Ni vexant, ni gratuit. Simplement lucide.
Crédits : Canal +, La diplomatie dans le sport | Claude Onesta
Le discours des remplaçants : lucidité, fermeté et précision
La scène — devenue culte sur Canal+ — résume à elle seule la “méthode Onesta”.
Il s’adresse à trois joueurs : Seb, Christophe, Guillaume. Pas pour les démonter, mais pour les réaligner.
Il rappelle ce que d’autres n’oseraient dire : leur rôle est limité dans le temps, mais essentiel dans l’équilibre du jeu.
« Vous êtes là pour rentrer dix minutes, peut-être quinze, et assurer la continuité. Pas pour faire le match du siècle. »
Onesta ne nie pas la frustration du banc, il la canalise.
Il sait qu’un joueur qui veut tout prouver en trois actions finit souvent par casser la dynamique. Alors il fixe le cadre : être prêt, être lucide, être utile.
Et quand Christophe s’autorise un mot de trop avec l’arbitre, Onesta tranche net :
« La prochaine fois que je te vois discuter avec les arbitres, en plus avec un anglais à deux balles, tu dégages… Tu rentres plus sur le terrain. »
Le style Onesta : calme, tranchant, efficace
Ce soir-là, Onesta parle peu, mais il vise juste.
Son message est limpide : tu n’as pas besoin d’être sur le terrain pour être essentiel.
Chaque minute de jeu, chaque relais, chaque attitude pèse sur le destin du groupe.
Et la suite lui donnera raison.
Lors de la finale face à la Croatie, dans une salle chauffée à blanc, la France déroule une partition clinique : 24-19.
Omeyer ferme tout, Karabatic orchestre, Abalo illumine — et les remplaçants, eux, assurent ces fameuses dix minutes d’équilibre.
Le collectif a gagné parce que chacun, star ou non, a tenu son rôle sans chercher à l’élargir.
Crédits : Canal +, La diplomatie dans le sport, AFP/HRVOJE POLAN | Claude Onesta
Héritage : les mots qui tiennent debout
En 2009, la France décroche son premier titre mondial depuis 2001, avant d’empiler les trophées : Europe 2010, Monde 2011, JO 2012…
Mais avant les médailles, il y a cette scène discrète, dans un vestiaire anonyme, où un coach a rappelé que le succès collectif repose d’abord sur la lucidité individuelle.
Claude Onesta n’a pas simplement construit une équipe. Il a bâti un système de valeurs, où la parole n’est ni une arme ni un abri, mais un outil.
Une façon de dire à ses hommes : tu n’as pas besoin d’en faire trop pour exister ; fais juste bien ce que tu dois faire, et tout le monde brillera.
Et peut-être que, ce soir-là, à Zagreb, il n’a pas parlé qu’aux remplaçants.
Il a parlé à tous ceux qui doutent de leur place, et qui oublient qu’une équipe, ce n’est pas seulement ceux qu’on filme.
