Paris, 31 juillet 2024.Cassandre Beaugrand se jette dans la Seine la peur au ventre mais l’esprit serein. Ce jour, c’est SON jour ! Et elle le sait, elle l’attend depuis des années… 1 h 54 min 55 s plus tard, la France tient sa première médaille d’or olympique de triathlon. Et l’image qui va avec : une championne qui n’y croit pas… mais qui l’a fait. Au micro Nicolas Geay ne s’y trompe pas. Nous assistons au sacre d’une reine !
Matin de stress en ce jour doré ...
La Seine frissonne, le pavé luit, le Pont Alexandre III se pare de bleu comme un ruban royal. Dans quelques minutes le scénario d’une course légendaire consacrera sa reine… À 27 ans, Cassandre Beaugrand a déjà deux Jeux dans les jambes (Rio 2016, Tokyo 2020), un statut de vice-championne du monde 2023 : la Française arrive favorite sur son propre pont. Pas le genre à se cacher, mais pas non plus à faire semblant de flotter au-dessus du trac. Elle l’admettra en souriant : « Je me suis mise à vomir avant le départ tellement je stressais… » Puis elle se remobilise, façon pro, et plonge dans la Seine pour 1 500 m de natation qui vont poser les bases d’un jour où tout bascule.
Devant, la championne olympique en titre Flora Duffy se mue en poisson-pilote et sort la première de l’eau. Beaugrand, elle, reste au contact élargi : autour de 27–30 secondes à la transition, en 6ᵉ position au pointage, Emma Lombardi suit de près. La France est dans la course, mais rien n’est acquis: il faudra recoller à vélo…
Le pavé, le vent, et l’art de recoller
La nuit a laissé la chaussée grasse de pluie. Qu’il vente ou qu’il glisse, un titre olympique ne se gagne pas à l’abri : on voit des trajectoires serrées, des relances à la prudence chirurgicale, des paquets qui se font et se défont. Sur les 40 km de vélo, Beaugrand remonte méthodiquement et intègre le groupe de tête, devenu bientôt un peloton d’une dizaine de prétendantes. Pas d’esbroufe, pas de panache inutile : contrôle, placement, patience.
La course est « parisienne » au sens noble : exigeante, technique, nerveuse. On parle de pavés près des Champs-Élysées, de virages qui n’autorisent ni l’approximation ni la frime. Paris aime la précision, Beaugrand aussi. Quand la T2 arrive, la Française a tout remis à zéro : la médaille se jouera dans ce qu’elle préfère — la course à pied.
Crédits : France TV Sport | Nicolas Geay, Cassandre Beaugrand
Dix kilomètres pour écrire une ligne bleue
Elles sont dix à pouvoir rêver, mais la foulée de Beaugrand dit autre chose : élégante, posée, implacable. La Suissesse Julie Derron s’accroche avec une constance admirable ; la Britannique Beth Potter (championne du monde 2023) reste à l’affût, l’œil clair et l’allure propre. Le public, lui, fait houle à chaque passage : les berges sont digne d’un Bercy un soir de concert !
À un tour de la fin, Beaugrand passe la seconde. Pas une mine, pas une attaque franche : une accélération propre, comme on ferme une porte doucement mais définitivement. Derron tient sa trace un temps, Potter s’arrange pour ne rien lâcher — mais la française ne regarde plus en arrière et file vers son sacre. Proche de l’arrivée, elle s’offre le luxe d’un dernier regard qui dit : c’est pour aujourd’hui. Arrivée : 1 h 54 min 55 s. Or olympique. Derron prend l’argent, Potter le bronze ; Lombardi échoue au pied du podium, 4ᵉ, à vingt-et-une secondes. La relève est là. La France célèbre sa première médaille d’or olympique en triathlon, et sa première médaille individuelle tout court dans ce sport.
« Le sacre d’une reine… le sacre de la reine Cassandre ! «
Pont Alexandre III : une banderole, un symbole
Il y a des lignes qui sont des destinations. Celle-ci, tendue sur le Pont Alexandre III, a fait basculer l’esthétique du patrimoine. On y voit Beaugrand passer la banderole — derrière elle, les Invalides et Paris en carte postale. Les Jeux ont parfois des images qui dépassent les podiums : celle-ci raconte un pays qui gagne chez lui et une athlète qui se découvre un cran au-dessus, là où la technique épouse le mental.
« Je ne réalise pas… Je crie mais je me dis que ce n’est pas possible. Je vois ‘Paris 2024’ et la banderole, mais je me dis que ce n’est pas possible. » dira-t-elle, encore incrédule, quelques minutes plus tard
Crédits : France TV, FFTRI, Olympics, ©Maxppp – ASPER JACOBS, LP/Olivier Corsan, REUTERS/Aleksandra Szmigiel, Icon Sport | Cassandre Beaugrand
« Le mental m’a lâchée… puis il m’a portée »
Le triathlon est une équation à trois inconnues dont la solution tient souvent dans une quatrième : la tête. Beaugrand ne s’en cache pas : « Plusieurs fois mon mental m’a lâchée, mais aujourd’hui, c’est lui qui m’a permis de gagner. » C’est tout l’arc de sa trajectoire récente : déceptions digérées (Tokyo 2021), déracinement assumé (partie s’entraîner à Loughborough pour soigner les points faibles, notamment le vélo), maturité technique conquise sous la pluie et à l’effort. À Paris, ce puzzle s’assemble au millimètre. Le jour parfait n’existe pas ; le jour juste, si.
Ce jour là est d’ailleurs encore disponible en résumé sur le youtube de France TV.
Une reine, un règne à écrire
En sport, on aime dire que « la première fois » est la plus belle. Pour le triathlon français, elle est surtout fondatrice : elle assoit une génération (Beaugrand, Lombardi, Périault), crédibilise des choix, et ouvre l’imaginaire. La discipline a ses codes, ses fidèles, ses matinées à la rosée et ses après-midi qui brûlent les jambes ; désormais, elle a son icône olympique.
L’histoire n’a pas cessé de dérouler : quelques semaines et mois plus tard, on parlera encore de Beaugrand tout en haut, du collectif français qui gagne du terrain, de Paris 2024 comme d’un accélérateur de destinée. Mais au fond, tout est déjà dans ce plan serré : une athlète qui passe le pont, sourit sans y croire, et invente un souvenir pour nous tous.
Ce que Paris a gagné (au-delà d’une médaille)
Paris a parfois la réputation de juger sévèrement. Ce jour-là, la ville a porté. On dit souvent que le « bruit » fatigue ; il peut aussi porter un pas. Les quais bondés, les clameurs en canon sur le Pont Alexandre III, le pays serré autour d’une athlète au physique angélique — tout était réuni pour faire de ce jour un récit héroïque.
Alors quand Nicolas Geay lâche « Le sacre d’une reine… le sacre de la reine Cassandre ! », on n’applaudit pas qu’une performance : on baptise une mémoire. Et l’homme derrière son micro a su à ce moment précis qu’il visait juste dans ses propos. Car oui le triathlon a trouvé sa figure de proue pour enfin écrire ses lettres de noblesses…
