Sydney, 22 septembre 2000. Le drapeau français flotte encore dans la tête de David Douillet. Une semaine plus tôt, il ouvrait les Jeux en porte-drapeau. Ce soir-là, il les referme à sa manière : par un combat, un cri, un soupir. Et un yuko devenu symbole. Le colosse de Levallois s’offre une sortie de légende — avec, en bande-son, un « T’es un dieu vivant ! » signé Thierry Rey.
La route cabossée d’un champion en fin de cycle
Entre Atlanta 1996 et Sydney 2000, Douillet a tout connu sauf la tranquillité. Un accident de moto, une épaule qui tire, un dos qui grince, une pubalgie qui tenaille. On l’annonce fini, rincé, déjà légende mais plus combattant. Lui, répond :
« Il faudrait qu’on me coupe une jambe pour que je n’y aille pas. »
Ce sera son dernier rendez-vous, son ultime défi. Le genre de promesse qu’on se fait à soi-même : aller jusqu’au bout, même tordu, même cabossé. En coulisses, il plaisante, dit qu’il vient « pour se marrer ». Mais personne n’est dupe : Douillet est venu chercher la cerise sur le gâteau… et la mettre sur le front du Japon.
Crédits : Canal +, Olympics | Thierry Rey, David Douillet
Darling Harbour, l’ultime joute
Finale des +100 kg.
Face à lui, le Japonais Shinichi Shinohara — champion du monde en titre, bras long et regard froid. Un combat sous tension. Un duel d’écoles, d’ego, de douleurs.
À la première minute, Douillet attaque en uchi-mata. Les deux géants s’emmêlent, basculent. Shinohara se relève, bras levés : il croit à l’ippon. Mais les juges, stoïques, accordent un yuko… à Douillet.
La polémique naîtra, nourrie par les ralentis, les débats, les cafés du matin au Japon.
Mais sur le moment, le Français s’en fiche.
Il avance, marque un second yuko, verrouille, respire.
Et quand retentit le hajime final, c’est fini.
Double champion olympique.
Thierry Rey, au micro de Canal+, a la voix qui tremble : « T’es un monstre ! T’es un dieu vivant ! T’es un dieu vi-vant ! »
Deux phrases. Deux uppercuts d’émotion. Le commentaire parfait d’un ancien champion qui sait reconnaître un instant d’histoire.
« T’es un monstre ! T’es un dieu vivant ! »
Le colosse qui doutait encore
Ce qu’on oublie souvent, c’est que Douillet a douté. Vraiment.
De son corps, de sa place, de sa légitimité.
Il débarque à Sydney en guerrier diminué, mais porté par un mental de marbre. Ses victoires s’enchaînent à la manière des grands : sans effet de manche, sans sourire, juste avec cette rage tranquille qui précède la délivrance.
Quand il salue le public, il sait.
C’est la fin. Il le dit, simplement : « Je prends ma retraite. »
Sur le tatami, pas de drame, juste un dernier salut.
Il sort comme il a combattu : debout.
Crédits : KIM JAE-HWAN/AFP, L’Equipe, Getty Images / Bongarts, Olympics | David Douillet
De Douillet à Riner, l’héritage des géants
À peine le kimono plié, la légende passe le témoin.
Quelques années plus tard, un gamin, Teddy Riner, brandit une photo : Douillet en kimono, bras autour de lui.
Le futur multiple champion du monde écrira : « Maintenant, on est des frères. »
Une filiation qui dépasse le sport : deux générations, un même code, une même exigence. Quand Riner collectionnera les titres, il avouera souvent penser à Sydney. À ce yuko, à ce drapeau, à cette façon d’être grand sans forcer.
Parce qu’avant l’invincibilité, il y a eu la vulnérabilité domptée d’un géant nommé Douillet.
L’homme derrière le mythe
Devenu député, ministre, puis figure médiatique, David Douillet n’a jamais quitté la scène publique. Mais pour ceux qui aiment le sport, il reste avant tout cet instant :
un colosse en blanc, une sueur sur le front, un arbitre qui tranche, un pays qui retient son souffle et un Thierry Rey qui ne le retient plus.
Douillet, c’est le judo comme on l’aime : brutal, loyal, respectueux.
Et surtout humain.
L’émotion de Thierry Rey, champion Olympique en 1980, n’était pas du théâtre — c’était la reconnaissance d’un pair, d’un ami, d’un témoin privilégié.
Ce soir-là, à Darling Harbour, il n’y avait pas seulement un champion qui gagnait.
Il y avait une époque qui se terminait.
Et sur ce tatami-là, c’est toute la France qui s’est relevée avec lui.
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