C’est lors d’une paisible matinée dunkerquoise de 2012, à deux semaines des JO de Londres, que Philippe Lucas choisit de faire sa déclaration à son nageur préféré.
L’ambiance : 28°C dans l’eau, 1000°C dans le verbe
Il faut savoir qu’Amaury Leveaux n’était pas venu à l’entraînement du matin. Et ça, aux yeux de Philippe Lucas, c’est une hérésie.
La scène se passe au bord de la piscine, dans une lumière bleu-blafarde de centre nautique où l’on entendrait presque un dauphin soupirer. Amaury est là, silhouette longiligne, peinard dans l’eau comme un poisson en RTT. L’air de rien, comme si de rien n’était. En face, Philippe Lucas entre en scène comme une dépression tropicale qui aurait oublié ses antidépresseurs.
Et là, c’est l’orage verbal. Pas physique – faut pas exagérer – mais une bastos rhétorique à faire recracher leur sifflet aux maîtres-nageurs. Un cocktail à base de « ça fait trois fois que j’te dis ! » et de « tu veux que je vienne te border peut-être ? ». Du grand Lucas, qui passe de l’observation au missile balistique en moins de trois secondes chrono. Le regard noir, il mitraille son nageur, planté dans l’eau comme une algue désabusée.
Crédits : Canal +, Intérieur Sport | Philippe Lucas, Amaury Levaux
Amaury, stoïque comme un moine tibétain
Face à cette explosion de décibels, Amaury Leveaux ne bouge pas. Il écoute, ou du moins il fait semblant. Les bras sur le rebord, le regard perdu dans une contemplation existentielle du carrelage au fond de la piscine. Pas un mot. On dirait qu’il attend que l’orage passe, comme un baigneur surpris par une averse. On sent dans ses yeux ce mélange subtil de “il va se calmer” et “je me demande si les crevettes vivent en banc ou en solitude”.
Le contraste entre les deux est hilarant : Lucas, le coach volcanique au langage fleuri, face à Amaury, le nageur-hippie qui flotte dans sa propre temporalité. Deux mondes, une piscine, et une séquence qui mérite son César dans la catégorie « meilleur dialogue improvisé au bord d’un 200 mètres ».
Regarde cette putain de caméra, champion du monde de mes couilles ! […] Tu vas aux Jeux Olympiques ? Tu vas faire quoi ? Tu vas conduire le car ?
Une scène culte, un coaching à l’ancienne
Ce moment est à ranger dans le musée des engueulades sportives mémorables, quelque part entre le « je vais te démonter » d’un coach de foot en district et le regard noir d’un entraîneur de judo quand t’as raté ton salut.
Mais derrière la colère, il y a l’amour. Si, si. Un amour à la Lucas : rugueux, sonore, sans dentelle. Parce qu’au fond, ce qui le rend dingue, c’est qu’il croit en Amaury. Il sait qu’il peut mieux faire. Et il refuse de le voir glander comme un dauphin sous calmants.
Crédits : Canal +, Intérieur Sport, Est-Republicain, AFP, Frabice COFFRINI | Philippe Lucas, Amaury Levaux
Philippe Lucas : gueulard, certes, mais légende avant tout
Parce que oui, Philippe Lucas, ce n’est pas qu’un distributeur d’engueulades salées. C’est aussi l’un des entraîneurs les plus titrés et respectés de la natation française. Le grand public l’a découvert en 2004, derrière Laure Manaudou, devenue championne olympique sous sa houlette. Mais il a aussi coaché d’autres pointures comme Sharon van Rouwendaal et Aurélie Muller en eau libre ou Camelia Potec et Federica Pellegrini en bassin.
Son style ? Un mélange de rigueur militaire, de punchlines rugueuses, et d’une fidélité absolue à ses nageurs (même quand il les dégomme à l’entraînement). Il ne fait pas dans la demi-mesure, mais il sort des médailles comme d’autres des longueurs de bassin.
Philippe Lucas, c’est l’école du dépassement tout simplement…
